Dramaturge

Ecrire pour le théâtre...

C'est l'un des comédiens de la troupe des Arthurs qui m'a lancé ce défi le premier. Il avait une idée de sujet, mais la plume n'est pas sa spécialité. Autour d'un dîner fort festif et animé, il m'a adressé une question que je ne m'étais jamais posée : "Ca te dirait d'écrire une pièce ?". Sans même réfléchir, j'ai accepté. J'ignorais alors à quel point l'exercice serait compliqué.

Lorsque j'étais en prépa-cinéma et que j'apprenais à raconter des histoires, une règle d'or nous était imposée : ne faites passer par le dialogue que ce qu'il est impossible d'illustrer par l'image. En clair : pensez visuel, oubliez les bavardages. En élève consciencieuse, j'avais retenu la leçon et l'ai appliquée tout au long de mon parcours. Sauf qu'au théâtre... il faut faire exactement le contraire. TOUT passe par les mots, les tournures, les dialogues, les réactions émotionnelles verbalisées.

Enfer et damnation. Me voilà entraînée dans ma propre déconstruction. Forcée de me départir de mes réflexes, mes techniques et un mode opératoire bien "encré", j'ai dû accepter de dire, parler, exprimer, beaucoup plus que de montrer. Batailler contre ma propre résistance, oeuvrer contre ce qui avait fini par devenir une seconde nature. Mon premier "jet de pièce" atteignit péniblement les 40 pages, soit à peine une heure de représentation. Autre contrainte de taille, à laquelle je n'avais pas vraiment songé : l'unité de lieu et de temps. Impossible de passer d'un endroit à un autre pour alterner les arches et créer du rythme, impossible de jouer sur les ellipses et la diversité des moments. L'oeuvre théâtrale concentre l'espace et la durée, en un microcosme dans lequel tout doit exploser, sans débauche de moyens ou d'artifices.

Aujourd'hui, j'en suis à ma deuxième pièce, mais je peine toujours autant. J'y prends un peu plus de plaisir, mais mon clavier crépite beaucoup moins vite que lorsque j'écris une série ou un roman. Il me faudra donc réclamer de nouvelles collaborations pour parfaire l'entraînement ;).

A REVOIR

QU'AURIEZ-VOUS FAIT A MA PLACE ?

 

Cette seconde pièce résulte aussi d'une commande, celle de Marie-Christine Garandeau, amie comédienne nourrissant une passion pour un personnage hors du commun : Noëlla ROUGET.

Décédée en 2020, Noëlla fait partie des grandes figures de l'histoire, non pour ses faits d'armes, mais pour sa grandeur d'âme. Après avoir rejoint les rangs de la Résistance et subi l'enfer de la déportation, elle a fini par demander au Général de Gaulle de gracier Jacques Vasseur, son bourreau, l'homme auquel elle devait son calvaire concentrationnaire et l'exécution de son fiancé.

Marie-Christine brûlait d'envie de porter la vie de cette femme à la scène, à la fois par devoir de mémoire, pour rendre hommage à la résistance, mais aussi pour promouvoir le message de Noëlla :

Noellarouget

« Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de nous affranchir de l’esprit de vengeance qui nous retient prisonnières de ce cercle de haine dont nous avons tant souffert ? Comment mettre un terme à la douleur si nous la laissons s’abreuver d’elle-même ? Nous devons continuer à être des Résistantes ! Des résistantes à la violence ! Nous rendrons hommage à nos morts non en les vengeant, mais en justifiant le sacrifice de leur vie par la construction d’un monde plus fraternel. »

Nous avons obtenu l'autorisation des auteurs de la biographie de Noëlla de nous appuyer sur leur livre pour élaborer une adaptation de son édifiant chemin de vie et de son voyage vers la sagesse. Le défi est grand, car les contraintes resserrées : peu de moyens financiers pour donner vie au camp de concentration et seulement deux comédiennes sur scène pour incarner 40 ans de parcours.

Alors j'ai opté pour des astuces : des voix off, un décor minimaliste et modulable, une scénographie jouant un rôle majeur et un texte ciselé. Noëlla Rouget avait le sens de la formule, une grande maîtrise du verbe et de la portée des mots. Elle employait rarement des termes génériques et s'exprimait avec un calme et une prodonfeur exemplaires. A son contact, j'apprends à parfaire mes propres modes d'expression.

En ces temps troublés qui enflamment l'Europe et le Monde à nouveau, la haine est de retour. Excitant nos émotions et étouffant notre raison, elle nous invite à la glissade, pour nous faire dégringoler de quelques échelons dans l'échelle de l'évolution. Les décisions et prises de position de Noëlla Rouget retrouvent une résonance que nous comptons ramener à la vie. 

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