L'amour et la scène : savoureuse union

Le 02/07/2025

Dans Evolutions de projets

TOUT CE QUE VOUS VOULEZ est une pièce de théâtre qui parle de couple, jouée par un couple, et que j'ai eu le grand plaisir de mettre en scène. Quand un spectacle vous donnne envie de retomber amoureux... Billet de blog consacré aux étapes de l'aventure.

JUIN 2025

6 jours avant la répétition générale prévue le 20 juin, rebondissement, coup de théâtre, léger petit souci : Anne-Laure se fracture le pied.
Et le diagnostic médical nous plombe le moral : "Vous pouvez tout annuler". Béquilles obligatoires, aucune garantie de se mouvoir librement pour l'ouverture du Festival... Oups.

Branle-bas de combat dans la compagnie, réunion de crise : que fait-on ? Adaptation ou abandon ? La seconde option ne faisant pas franchement partie de notre vocabulaire, nous prenons une autre décision : revoir l'intégralité de la mise en scène pour limiter au maximum les déplacements d'Anne-Laure. J'ai l'impression d'être Pénélope face à sa toile : nous détricotons en urgence tout ce que nous avions tissé durant des semaines, pour retricoter un nouveau ballet scénique, en évitant l'écueil du trop statique. Autre gageure : Anne-Laure était chargée de gérer bon nombre d'accessoires, tous stockés en coulisses. Alors j'imagine une dérobade : nous placerons une malle décorative sous la table basse du salon, dans laquelle elle pourra se servir et se débarrasser à loisir. 

En traitant un problème après l'autre, nous réalisons progressivement que c'est possible. Que même handicapée, Anne-Laure peut jouer. A vrai dire, l'exercice se révèle même intéressant, car ces nouvelles contraintes enrichissent le jeu sous bien des aspects : le caractère peste de Lucie se trouve naturellement renforcé par le fait qu'elle ne peut pas bouger et la transforme en donneuse d'ordres, tandis que la serviabilité de Thomas devient encore plus attachante et génère des situations assez cocasses. On en arrive à se demander si, finalement, il ne faudrait pas garder l'idée, même une fois le pied d'Anne-Laure réparé ! ;)

Nous voilà regonflés à bloc. Les derniers préparatifs sont bouclés, le chant des cigales commence déjà résonner et le Mistral à souffler. Avignon ne sera pas synonyme de reddition, mais de consécration. Et le lendemain de l'arrivée de la troupe sur site, un petit miracle se produit : Anne-Laure marche ! Avec une botte de ski, mais elle marche. C'est parti pour un mois de défi !

MAI 2025

S'il fallait définir ces répétitions, ce serait de cette façon : c'est dans l'enrichissement mutuel que résident les solutions.

C'est en jouant ensemble que l'on détermine si un déplacement est justifié ou non, esthétique ou pas. C'est en jouant ensemble que l'on découvre des trésors de tons, qui feront rire ou émouvront. C'est en jouant qu'un spectacle se construit. Le travail préparatoire ne constitue que les fondations. Au fil des répétitions, nous avons senti monter cette impression bien particulière, qui consiste à approcher de l'équilibre, de la justesse, à s'approprier l'oeuvre écrite pour la transformer en oeuvre vibrante. Travailler avec des amis, ce n'est pas travailler. C'est transcender une amitié par une création commune, dans laquelle chacun croit et qu'il a plaisir à porter. C'est le pied :).

A nous quatre (j'inclus notre régisseur, dont l'arc est pourvu de nombreuses cordes qu'il sait toutes exploiter), nous sommes parvenus à donner vie à une comédie romantique qui donne envie de tomber amoureux. Philippe et Anne-Laure se trouvent pourtant à contre-emploi : l'un interprète un personnage plutôt coulant (alors qu'il est doté d'un puissant tempérament), tandis que l'autre joue une femme froide et cassante (alors qu'elle est la gentillesse et la douceur incarnées). Mais c'est justement dans ce défi qu'ils trouvent plaisir à jouer ensemble... et à tomber amoureux, encore et toujours, à la fin de cette pièce, comme à chaque jour de leurs 25 ans d'union. Ils sont émouvants et convaincants.

L'idée que j'avais en tête pour solutionner les noirs à répétition s'est finalement révélée pertinente. J'ai trouvé le moyen d'en supprimer certains en forçant l'enchaînement "à vue" de certaines scènes, en raccourcissant les changements de costumes, et surtout, en trouvant des passerelles musicales célèbres, pour maintenir l'immersion du public dans les émotions des personnages. Qui de mieux qu'Aretha Franklin ou Etta James pour animer notre fibre amoureuse ?

Affiche

Le spectacle est né. Il est beau, il ne lui manque rien. Il ne lui reste plus qu'à apprendre à marcher. C'est ce qu'on appelle le rodage. Nous avons prévu une répétition générale à huis-clos avec de nombreux amis et soutiens qui nous aideront à resserrer les derniers écrous avant le grand bain à Avignon... mais voilà... comme souvent dans la vie, rien ne se passe comme prévu.

AVRIL 2025

Deux comédiens sur scène, par ailleurs époux à la ville. Des amis de longue date, avec lesquels j'ai vécu de nombreux et merveilleux moments, et avec lesquels je partage déjà plusieurs réalisations artistiques. Mais jusqu'ici, je ne les avais jamais mis en scène. C'est une première...

Lorsqu'ils m'ont proposé de me confier cette tâche, j'ai immédiatement accepté, enthousiaste à l'idée de travailler à nouveau avec eux. Mais comme toujours, j'ai ensuite été prise d'un moment de doute. En suis-je capable ? Mettre en scène exige de maîtriser trois compétences : la direction d'acteurs, le sens de la scénographie et une certaine maîtrise des aspects techniques pour pouvoir interagir efficacement avec le régisseur. Or, je ne me sens vraiment à l'aise qu'avec la première, je suis peu aguerrie à la deuxième, et parfaitement étrangère à la troisième... Qu'à cela ne tienne, la tentation est trop forte. Et j'affectionne les défis.

C'est donc parti pour quelques dizaines d'heures de réflexion en amont de la première répétition, afin d'anticiper les déplacements, les postures, le ballet de mouvements ; de définir avec précision le jeu, le ton, le rythme, les ruptures ; de concevoir un univers musical accompagnant les très nombreux "noirs" de cette pièce constituée de scènes parfois très courtes.

La psychologie des personnages ne me pose aucun problème : c'est que je préfère. "Diriger" Philippe et Anne-Laure ne m'inquiète pas non plus : nous nous connaissons suffisamment pour savoir nous parler de façon bienveillante et constructive. Nous nous faisons confiance, et je sais qu'ils comptent sur moi pour nuancer leur jeu et les pousser à explorer tous les traits de caractère de leur personnage.
 
La mise en place est plus problématique. J'ai du mal à me projeter, à visualiser ce que les positions et mouvements donneront une fois sur scène, et s'ils seront vraiment en harmonie avec le texte et les intentions. J'annote le texte de multiples commentaires, en m'accordant le droit de les remettre en question lorsque nous répéterons.
Reste la lumière et le son. C'est le volet que je maîtrise le moins, et cette pièce comporte un écueil : elle raconte une histoire dans l'histoire, et contraint les comédiens à jouer dans deux espaces-temps, voire avec deux personnages différents pour l'un d'eux. J'ai beau chercher, je peine à concevoir une "bascule lumière" à la fois nuancée et "pédagogique" pour le spectateur. Quant à la musique, elle est primordiale. Lorsque "Tout ce que vous voulez" a été joué à Paris, la critique majeure adressée à ce spectacle consistait dans ses "noirs" multiples, qui cassaient le rythme et sapaient l'attention du public. Je veux trouver un moyen de renverser la vapeur. Une idée commence à poindre... mais à mes yeux, une pièce de théâtre est une oeuvre collective, alors j'attendrai d'en discuter avec les comédiens et le régisseur avant de prendre une décision.

Le travail préparatoire est achevé... prochaine étape : la mise en vie.

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